Aujourd’hui, on entend le mot “slow” de partout : “slow-life”, “slow-food”, “slow fashion” et même “slow cosmétiques”… Un terme à la mode, réservé aux bobo-écolos en quête de renouveau ? Peut être, mais pas que.
Il semblerait que nos vies ne soient plus satisfaisantes aujourd’hui, et que chacun aspire quelque part à lever le pied, à sortir du tourbillon de la vie (Jeanne Moreau, si tu m’entends…) et à inclure plus de sens dans son quotidien.
Éviter le burn-out – autre mot malheureusement trop répandu de nos jours – et les périodes de stress pour revenir à l’essentiel. C’est un concept qui vous parle ? Moi aussi. Alors j’ai intégré dans mon quotidien – entre autre – ce mouvement de slow-design.
Mais quel concept se cache exactement derrière ces mots ? Voici une tentative de définition.
D’aussi loin que je me souvienne, il me semble que le premier mouvement de ralentissement général est né dans la restauration, avec le mouvement “Slow Food” qui s’opposait au phénomène grandissant de la Fast Food.
La Fast Food, où l’exemple même du “trop loin, trop vite”. Des enseignes qui se multiplient autour de nous, qui usent et abusent de leurs salariés, qui ont des pratiques douteuses, et proposent des aliments à faible potentiel, remplis de mauvaises choses, ingérées de manière ultra-rapide, sans conscience… et qui laissent une envie de “reviens-y”, parfois seulement 2h après voir ingurgité la dernière bouchée de son burger.
Et bien pour la mode, c’est pareil. Il y a aujourd’hui bel et bien une Fast-Fashion, des enseignes qui pullulent et qui proposent un mode jetable, une consommation poussée à l’extrême à tous les niveaux… et qui donnent envie de retourner vider son portefeuille dès le lendemain. C’est en opposition à ce mode de consommation que se sont construit les mouvements Slow Fashion, et Slow Design.
LA FAST FASHION
Une consommation poussée à l’extrême
Il est loin le temps où Coco Chanel clamait « Je ne peux accepter que quelqu’un jette ses vêtements, juste parce que c’est le printemps ! ». Surtout lorsque l’on sait que la maison Chanel produit aujourd’hui 10 collections par an… Car oui, il fût un temps ou les collections qui défilaient en magasin suivaient le rythme des saisons : automne-hiver et printemps-été. C’était “le moins pire”, on pouvait encore y trouver une raison d’être (bien que je sois contre les rythmes imposés, mais cela m’est personnel). Aujourd’hui, aucune grande enseigne ne se verrait faire moins de 4 collections par an, allant jusqu’à 10 ou 12 pour certaines. Quel rythme effréné ! Qui a besoin de ça ?
Résultat : un consommateur totalement perdu au milieu de tout ça, qui doit suivre la cadence au risque de ne plus être à la pointe de la mode le mois d’après. Le client, véritable vache à lait, ne sait plus où donner de la tête. Mais les marques s’intéressent plus à son porte-monnaie qu’à sa tête, il faut le dire…
Une production peu soucieuse de l’humain
Je ne vous l’apprends pas : pour maintenir des prix bas, il faut tirer sur la corde… Et l’éthique ne fait pas vraiment partie du vocabulaire de ces grandes industries. Il faut coûte que coûte privilégier la quantité au détriment de la qualité. Et il n’y a pas qu’au niveau de la production de ces objets… Cela commence bien en amont, avec une pression telle sur les “designers produits” que ce rythme insoutenable (ainsi que le coût de leur salaire) a vu leur nombre fondre comme neige au soleil. Et leur présence s’est vue remplacée par… le plagiat, tout simplement. Je ne vous conterai pas ici le nombre invraisemblable de collègues qui ont vu leurs designs copiés parfois trait pour trait par toutes ces grandes chaines (coucou Mango & Velvetine, coucou Zara & Pandora, coucou Promod & Christelle dit Christensen, coucou Kiabi & Sobigraphie… on continue la liste ?) Mais croyez moi, il n’y a rien de plus frustrant pour une personne qui donne tout dans sa petite entreprise.
Des produits de faible qualité, un style uniformisé
Faut-il mentionner la piètre qualité des produits qui sortent de ces usines ? Il est monnaie courant de trouver des articles à défauts dans les rayons. Un pull qui bouloche dès le premier lavage. Un “plaquage or” qui n’est en fait que de la peinture dorée, qui gratte les oreilles (merci le discrédit pour les créateurs de bijoux fantaisie…) Des coutures qui tournent, des tailles mal proportionnées. Des boutons qui se barrent en moins de 2…
Quant au style, en voilà un qui s’est carapaté avec le dernier bouton de ma veste ! Je ne prétends pas être à la pointe du style ultime, loin de là. Mais franchement, ne trouvez-vous pas pathétique de voir les même sabots Stan Smiths aux pieds de toutes les femmes de ce pays ? Nous sommes toutes et tous tentés par les modes et les tendances, c’est là un penchant bien humain. Mais n’avez-vous pas parfois l’impression de voir exactement les mêmes fringues chez Promod et Camaïeu ? Pimkie et Zara ? Les mêmes bijoux chez Claire’s et Bala Boosté ? En même temps, cela sort des mêmes usines… nous revenons donc à l’uniforme, en somme.
Tout ceci devient insidieusement usant, à grands renforts de communication, d’espaces publicitaires, de mannequins retouchées… Jusqu’où peut aller cette course au toujours plus vite, toujours moins cher, toujours plus écœurant ? Heureusement, un contre-courant semble faire entendre sa voix de plus en plus, et de mieux en mieux…
LE SLOW DESIGN
Une production locale et à petite échelle
Evidemment, cela tombe sous le sens, la Slow Fashion privilégie (et je dis bien “privilégie”, car ce n’est pas toujours possible) une production locale, avec peu d’intermédiaires. Et vous savez-quoi ? Parfois on s’y retrouve au niveau des coûts ! Les matériaux nobles sont mis en avant, ainsi que les partenariats avec des prestataires locaux, afin de réduire les coûts, les distances, et les incompréhensions. Nous retrouvons là une fabrication qui fait beaucoup plus sens, qui revient à l’essentiel et permet ainsi de privilégier la qualité.
De la qualité vs la quantité
Encore une fois cela tombe sous le sens, mais on retrouvera bien souvent chez les Slow Designer, des productions en pièces uniques ou petites séries, pour ne pas “user et abuser” des bonnes choses. Pour rendre l’unicité à une création. Et parce qu’il faut composer avec le principal outil de fabrication : l’homme et ses limites.
Attention, cela ne veut pas dire que ce ralentissement se veut dénué de toute technologie ou toute machine. Mais leur usage est raisonné. J’ai autour de moi des amis ébénistes qui ont investi dans une machine plutôt chère, et qui, pour la rentabiliser, offrent à d’autres créateurs – de mobilier, d’objets, de bijoux en bois – de leur louer cette machine. Les Fablab se multiplient pour mutualiser les expériences. L’outil moderne devient créateur de liens.
Des tarifs re-connectés au travail et au savoir-faire
Derrière un objet, un bijou, un vêtement, il y a une personne qui l’a pensé puis fabriqué. Il y a des coûts de matière première, des heures de travail, et un savoir-faire qu’il ne faut pas perdre de vue. Il y a aussi ces longs moments passés à faire graviter tout autour ce qui rendra sa vente possible : acheter le bon matériel, faire des essais, rater, recommencer, le prendre en photo, retoucher, faire un site web ou agencer sa boutique… Communiquer dessus, faire des salons, se faire connaître. Trouver un packaging, créer un merchandising qui va autour. Et puis il y a le côté artistique de l’objet : il faut l’évaluer aussi. Trouver le juste prix est souvent un véritable casse-tête pour un créateur (un prochain article y sera dédié). C’est une alchimie qu’il faut savoir savamment touiller pour enfin trouver la bonne formule. Car croyez-moi : tout créateur a peur (oui PEUR !) de faire “trop payer” et sous-estime souvent son propre travail pour ne pas paraître trop avide aux yeux de sa clientèle.
La Slow Fashion n’est pas forcément plus chère : c’est que le prix payé par le client est juste et rémunère à sa juste valeur une personne et son travail. Ce prix n’aura pas été dicté par la concurrence ou pas le marché. La Slow Fashion est un pas en avant pour le consommateur autant que pour le créateur.
Un visage derrière l’objet
Les marques et créateurs adeptes du Slow Design n’hésitent pas à se montrer. Fiers de leur travail et de leur mode de production, le client sait souvent “à qui” il achète. Cela a le mérite de redonner confiance au consommateur, et de créer un affect particulier avec l’objet, et son histoire. On recréé des liens, et ça fait du bien.
Un moyen d’expression : acheter = voter
Enfin, derrière ce mode de consommation, ces actes d’achats, se cache un autre aspect bien plus impactant que ce que l’on pourrait croire. Ce n’est pas faux quand on dit qu’acheter, c’est voter ! Acheter à un créateur ou un artisan, c’est refuser le diktat des grandes enseignes qui voudraient tous nous voir rentrer dans un moule. Plus que jamais, l’heure est au choix dans sa consommation.
En France, comme dans la plupart des pays développés, cela commence à se faire ressentir dans l’alimentaire, avec le développement des enseignes bio… et les dérives qui vont avec : l’avidité des gros supermarchés, qui se lancent aussi dans l’aventure tout en gardant leurs modes de production, de tarification et d’abus “conventionnels”. Les coopératives, qui partaient d’un bon esprit mais ont vite flairé le potentiel économique de cette démarche Slow Food… Il faut savoir faire le tri, et savoir faire des choix. Chaque objet acheté en conscience de tout cela est alors comme un petit bulletin pour dire que non, nous ne sommes pas des oies à gaver…
J’ai moi-même été tentée de courir dans cette course folle, sans même m’en rendre compte. Si cela vous interesse (coucou, vous êtes toujours là ?) , voici d’ailleurs comment j’en suis venue au Slow design.
MON PARCOURS
Une envie et des valeurs personnelles
Pour ma part, le slow design a d’abord été une voie très égoïste, très personnelle. Ne vous méprenez pas : au début je n’avais même pas posé le mot dessus. Mais après des années passées dans des entreprises toutes plus absurdes les unes que les autres, à me faire “presser” au quotidien par des gens tout aussi usés et abusés que moi, j’ai décidé de respirer. De lâcher prise et de prendre du recul. Pas tout à fait un burn out, enfin je ne crois pas, mais une belle prise de conscience.
La bijouterie a d’abord été un loisir, puis une passion, une échappatoire. J’ai ouvert ce chapitre sans savoir la fin de l’histoire. Je n’imaginais pas en faire mon métier, mais finalement, à force de persévérance et d’envie, ça l’est devenu. J’avais découvert malgré moi une façon de travailler plus en adéquation avec mes valeurs. Créer OH LA LA a été pour moi comme un doux pansement : créer de mes propres mains m’a fait reprendre confiance en moi, comprendre là où se situait l’essentiel. Avoir le plaisir de fabriquer un objet de A à Z, ce n’est pas rien, ça redonne du sens.
Mais au delà de la création de bijoux, il y avait aussi cette création d’entreprise. Et là aussi j’ai décidé de ne pas laisser entrer le stress et le non-sens. Mon entreprise devait servir mes intérêts et non l’inverse, comme c’est trop souvent le cas. Aujourd’hui encore je dois parfois me faire violence pour ne pas me laisser dépasser, savoir dire non, prendre du recul, échapper au stress et à la pression, surtout celle présente sur les réseaux sociaux.
Offrir à mon tour plus de sens
Lorsque OH LA LA a commencé à bien marcher, je me suis posée la question de faire des salons professionnels, et de passer à 2 collections par an, voire 4, comme le veut l’industrie de la mode et de l’accessoire. Les revendeurs et partenaires avec qui je travaillais étaient toujours en demande de plus de nouveautés, de tendances… J’ai dû apprendre à dire non et à expliquer mes choix. Je ne voulais pas me forcer à créer pour la demande.
Mes collections suivaient mes envies. Je suis alors partie 6 mois avec mon homme et mon sac à dos. J’avais organisé mon “évasion” en laissant la gestion logistique de OH LA LA à ma mère. Cela a été la meilleure décision que j’ai prise : ma petite entreprise n’a cessé de croître, mes partenaires ont tout à fait compris et intégré mon mode de production (il suffit de bien expliquer sa démarche), et de mon côté je ne me suis jamais sentie aussi épanouie. Je suis revenue avec une de mes collections les plus abouties, et un bébé tant attendu dans le ventre…
Au niveau de mes créations, j’ai fait le choix de designs simples mais aboutis, question de goûts. Je ne fais évidemment que des bijoux qui me plaisent et que je pourrai porter. Cela me semble aller de soi. J’essaie autant que faire se peut de proposer de l’unique, du durable. Un produit avec une âme. Je ne fais jamais de soldes sans raisons : uniquement lorsque j’ai vraiment un sur-stock sur certaines références (ce n’est pas ça l’idée des soldes, à la base ?). Je ne force jamais à la vente, je déteste ça. Peut être que je ne suis pas une bonne commerciale, mais qui peut être bon partout ? Je me fais aider par des personnes compétentes lorsque c’est possible.
Changer les mentalités ?
J’essaie de rencontrer et expliquer mon mode de fabrication dès que je le peux. Je laisse notamment mon atelier ouvert, avec une fausse verrière de façon à ce que les clients puissent me voir travailler. Ils peuvent me poser des questions. Je mets les limites là où je veux.
D’ailleurs je dois encore savoir dire non, et expliquer mes choix. Par exemple, depuis l’ouverture de mon atelier-showroom (que j’ai choisi car il était lové au fond d’une cour, et non pas sur rue), j’ai dû expliquer des centaines de fois à des clients “mécontents” pourquoi je n’ouvrais pas le samedi. J’ai une famille, je suis à mon compte, et tout peut être commandé sur internet sans frais de port. Je ne veux pas faire passer ma santé, mon temps et ma famille après mon travail, que j’adore pourtant. Mes week ends me sont précieux. Et j’y suis déjà présente toute la semaine. Mais c’est un choix que j’ai fait, et que chacun peut faire. Pour être tout à fait honnête : j’ai quitté le métro-boulot-dodo abrutissant, ce n’est pas pour me subordonner à celui de mes clients… Cela vous paraît il fou ?
Le slow design était donc le bon choix pour moi. Il existe, il est possible, et chacun peut y contribuer : les consommateurs par un acte d’achat en pleine conscience des personnes et des modes de production qui se cachent derrière une marque. Et chaque créateur en refusant les diktats imposés par les enseignes de fast-fashion.
Dernièrement, j’ai rencontré d’autres artisan-créateurs dans ce même état d’esprit. Avec Marine, de Note Suave (bougies aux senteurs exquises) et Aurélie Ferritto (céramiste), nous avons conçu une collection capsule qui réunit nos 3 savoir-faire : une bougie en cire de soja et mèche bois, coulée dans une céramique réutilisable en tasse, et au fond de laquelle se cache une bague en plaqué or qui se dévoile au fur et à mesure de la combustion. C’est une création conçue de manière 100% artisanale et locale. Nous sommes toutes les 3 de la même région (Occitanie), et au hasard d’une rencontre, nous avons décidé d’unir nos savoir-faire ainsi que nos valeurs : celles d’une production maîtrisée, de qualité et éthique. Les matières premières proviennent également de fournisseurs régionaux. Son packaging ne génère aucun déchet. Nous avons choisi un pochon en coton biologique et des étiquettes en papier ensemencé qui permet au passage de faire pousser quelques fleurs des champs 😉
Et vous, quelle est votre approche du travail artisanal ?
sofia says
Super article Melanie qui donne matière à réflexion, comme toujours !!
Merci !!
Sofia